lundi 29 octobre 2012

Varanasi (Bénarès pour les intimes)


Varanasi est l’une des plus anciennes villes du monde. Et ça se sent. Non pas à cause de l’ancienneté des monuments, au demeurant peu nombreux, mais plutôt dans l’atmosphère, saturée de ferveur religieuse et de mysticisme brut. L’empereur Aurangzeb (encore lui !), tenta de gommer toutes traces des religions n’étant pas l’Islam, allant jusqu’à changer un temps le nom de la ville en Mohammadabad, mais les croyances ne s’effacent pas ainsi, et Bénarès a toujours été le plus grand lieu sacré de l’hindouisme, au même titre que le Vatican pour les catholiques, ou La Mecque pour les musulmans. C’est le lieu de pèlerinage des hindous, le point de rencontre du monde physique et du monde spirituel. Pour la petite histoire, le nom initial de la ville était Kashi, provenant des Véda, le tout premier livre sacré des hindous, signifiant « le lieu qui attire tout le monde ». Rien n’a changé, sinon le nom, et l’on perçoit ici l’essence même de l’Inde, le bon, comme le mauvais.








Chaque année, trois ou quatre millions de pèlerins (60 000 par jour), viennent effectuer leurs ablutions rituelles dans le Gange pour se décrasser l’âme, les eaux du fleuve étant censées laver de tous les péchés accumulés au cours des vies passées. J’imagine que certaines personnes doivent se nettoyer plus vigoureusement que les autres ! Mais ce n’est pas tout : ici plus qu’ailleurs, la mort est présente, elle fait partie de la vie (je sais, c’est con, dit comme ça). Et pour cause : les hindous viennent y mourir en masse, car rendre son dernier soupir à Varanasi, c’est en finir avec le cycle infernal des réincarnations (le samsara) et atteindre sur le champ la moksha (équivalent pour les hindous du nirvana bouddhiste). De ce fait, deux ghâts (escaliers descendant vers le fleuve) sont dédiés aux crémations. Des familles entières, de toutes castes, viennent incinérer leurs morts selon des rituels bien spécifiques, et payent des tarifs plus ou moins élevés pour la qualité du bois de bûcher, le cindelhu (poudre odorante), et la place elle-même, plus ou moins loin de la rivière. Environ deux cent corps sont brûlés chaque jour, puis les cendres et les os qui ne se consument pas (sternum pour les hommes et bassin pour les femmes) sont dispersés dans le Gange. Il est formellement interdit de prendre des photos, ou l’on se retrouve exposé à des réprimandes sévères (parfois armées) et une amende salée. Du moins si l’on se laisse faire par les gros bras qui attendent les touristes non avertis pour les racketter. Je pense l’avoir échappé belle, agonisant d’injures et lassant les deux types qui voulaient me faire cracher une somme exorbitante et m’ont suivi sur trois cent mètres.


























Ce con là a bien failli me charger! L'était pas commode...

Pour toutes ces raisons, l’ambiance de la ville est très particulière, et les contrastes y sont flagrants. Entre les castes bien entendu, mais également entre habitants et pèlerins, qui appréhendent les choses et les touristes, de manières différentes. Les occidentaux venus ici par curiosité, par quête spirituelle, ou simplement par un sentiment d’obligation, sont légions, et il n’est pas rare de sentir l’animosité des « baigneurs », des sâdhus et même des enfants à leur/notre égard. Les gamins n’en sont plus réellement, poussés par leurs parents à mendier, ou à réclamer de l’argent contre une photo de leur sourire forcé. C’est très déstabilisant, surtout quand une mouflette de six ans vous insulte en criant « delete ! delete the photo ! » parce que vous avez refusé de vous acquitter d’un écot, étant donné que c’est elle qui est venue vous demander de prendre son portrait… Heureusement que certains enfants demeurent innocents, malgré la pression et l’appât du gain !











Pour parfaire cette série de mésaventures qui jalonnent cette fin de périple indien, notre arrivée à Bénarès ne s’est pas faite sans heurts, ce qui, au vu de notre karma actuel, se révèle être un sacré euphémisme ! En effet, nous avions booké tous nos billets de train sur internet, il y a deux semaines de cela, à Chandigagh, chez notre ami Ajit. Mais nous n’avions pas prévu que nous serions toujours en waiting-list quinze jours plus tard, et que nous nous verrions forcés d’annuler lesdits billets. Le problème est devenu autrement plus épineux quand le train s’est révélé être archi complet, et que nous avons dû frauder pour monter dedans, puis payer une amende au contrôleur pour qu’il nous trouve deux banquettes en sleeper class, au beau milieu de la nuit, chassant en passant deux autres voyageurs. Mais ça ne s’arrête pas là ! Arrivés à bon port, il nous a fallu recommencer pour le train suivant, passant deux journées entières à courir des agences de voyage à la gare ferroviaire, et à parlementer avec des gens qui ne savent décidément pas faire leur boulot, arguant que « c’est bon, vous aurez vos tickets, c’est sûr à 100% », avant d’annoncer, six heures plus tard, que « en fait, notre agent de la station demande une plus grosse commission, et de toute façon, c’est même pas sûr, vous feriez mieux d’attendre demain matin pour acheter des billets d’urgence à la gare »… Bon, le principal, c’est que nous ayons finalement dégoté des billets, avec un jour de retard, et que nous arriverons demain matin à Calcutta à 7h30, pour prendre notre avion à 10h30… Samia vient d’ailleurs de lever les bras en signe de victoire… et de contentement… et de lassitude… Vivement qu’on se barre…






Et hop! Un petit Invader non recensé...


Pour conclure, je dirai que Varanasi vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour comprendre un peu plus la psyché indienne, leurs traditions, et leurs croyances, très complexes. Pour beaucoup de voyageurs, la ville est une véritable révélation, qui heurte de plein fouet nos certitudes trop ancrées, trop cartésiennes, d’occidentaux. Et il est vrai qu’on n’en ressort pas indemne. Le premier choc absorbé, notamment celui des crémations, on se retrouve happé par la ferveur sacrée des cérémonies, par le flux grouillant de ce labyrinthe de venelles sombres, ou juste par la contemplation de la vie simple et dénuée des habitants du bord du Gange. Ce fut difficile pour nous, au bout de trois mois et n’éprouvant que peu d’attrait pour le nord, d’aborder la ville sans a priori, mais nous n’en sommes pas moins émerveillés par cette incroyable spiritualité qui s’en dégage. Ce fut aussi pour nous l’occasion de rencontrer Susen et Jake, une allemande et un anglais, qui baroudent chacun de leur côté depuis plusieurs mois déjà, et avec qui nous avons passé de merveilleux moments. Notamment une balade en bateau, de nuit, afin de voir depuis le fleuve la Ganga Aarti, une cérémonie spectaculaire de dévotion, quotidienne, illuminée de milliers de bougies et embaumée d’essence de santal, rassemblant plusieurs milliers de personnes dans la joie et le recueillement. Beau bouquet final, avant de quitter le pays ! 


Jake, Susen, et... appelons le Rahul





















Addendum depuis Bangkok: Bon, on l'a fait, mais on a failli rater l'avion car le train, blindé, a pris presque deux heures de retard, et nous a fait arriver à l'aéroport dix minutes avant l'embarquement... Heureusement que notre charme indéfectible a su oeuvrer sur l'agent du bureau d'enregistrement. A moins qu'il n'ait eu pitié, allez savoir... Quoiqu'il en soit, nous sommes ravis, surtout Samia, qui a plus souri en trois heures de temps que durant tout le dernier mois en Inde! A bientôt pour de nouvelles aventures!


On n'est bien que chez soi

Ou dans un tas d'ordures, au choix...




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