mardi 15 octobre 2013

Broome la Belle




Mais que m’arrive-t-il ? Trois articles en dix jours, contre deux en trois mois, lorsque nous étions à Darwin ! Il faut croire que j’ai retrouvé le goût d’écrire. Et nous avons bien plus à raconter, maintenant que nous avons repris la route. Enfin, la couverture wifi est excellente à Broome, et je ne sais absolument pas si nous en retrouverons une aussi bonne avant d’arriver à Perth. Donc j’en profite.




Tout d’abord, laissez-moi vous rassurez sur un point. Mushi va mieux. Du moins pour l’instant, il semble sorti d’affaire. Le garagiste à qui nous avons eu affaire, un vieux gars bourru de Tasmanie, incompréhensible, s’est révélé très bon, et a su déterminer assez rapidement la cause de nos malheurs. En fait, ce n’était pas un élément du circuit de refroidissement, comme nous le pensions, mais la pompe du moteur qui n’alimentait plus assez ce dernier en essence. C’est pourquoi le van avançait en soubresauts, aux moments où il tombait en rade, comme quand le réservoir est à sec. Bref, une heure plus tard, nous avions une nouvelle pompe à essence électrique (pour 215$, main d'oeuvre comprise). Seulement, la nouvelle pièce émettait un cliquetis assourdissant, et nous dûmes attendre quelques jours de plus pour en avoir une plus performante. Nous qui ne voulions pas nous éterniser à Broome! Quoi qu'il en soit, j'ai mis ce temps à profit pour refaire une beauté à notre petit Mushi, notamment en réinstallant de nouvelles moustiquaires extérieures, plus grandes, en le repeignant à la bombe, et en apportant quelques petites améliorations intérieures, fonctionnelles et décoratives. Il ne manque donc plus que les barres de toît, afin d'installer un réservoir de douche, ainsi qu'une bâche de auvent. Je pensais également à mettre un pare-buffle orné d'un crâne de taureau, des jantes en alu chromé avec des pointes et une tourelle rotative armée d'une 50 mm sur le toît, mais Samia n'avait pas l'air trop emballée...  Je crois qu'elle n'a jamais vu Mad Max, c'est pour ça! Enfin, Mushi est prêt à reprendre la route et nous sommes dorénavant confiants quant à la suite du programme. Croisons les doigts. Alléluia !








Bon, ça ne vaut pas les véhicules que l'on peut trouver dans le coin, notamment les vans Wicked, mais quand même, c'est pas trop mal, non?








Après nos mésaventures dans l’outback et l’aridité du désert, Broome nous a semblé être un véritable havre de fraîcheur. Certes plus petite que Darwin, la ville s’étend sur une péninsule, cernée par l’océan, et offre donc un climat agréable, frais à souhait, et de superbes plages où nous avons pris le temps de nous reposer. En compagnie des loustics, nous nous sommes baignés dans l'eau turquoise de Town Beach, et avons assisté aux merveilleux couchers de soleils de Cable Beach, réputée comme l'une des plus belles plages d'Australie. Ludo, prof de gym de son état, nous a même régalé d’une démonstration acrobatique à contre-jour. J’aurais aimé l’accompagner, mais je dois me résigner au fait que j’ai énormément perdu en souplesse, et que mes articulations ne tiennent plus que par magie. Que voulez-vous ? La vieillesse finit par tous nous rattraper ! C'en est fini des galipettes, ma bonne dame! Toutefois, nous avons assisté à un concert de percussions sauvage, et c’est avec bonheur que nous sommes entrés dans la danse, en compagnie de vieux hippies et de jeunes kepons, et que j’ai sauté sur l’occasion de rejouer au djembé, agrémentant le tout de solis endiablés. Puis nous avons rencontré moult backackers, tous plus cramés les uns que les autres, mais notre coup de coeur est allé à Caro et Max, deux trublions rieurs et assoiffés (qui ne sont pas ensemble malgré leur passion commune pour le mérou) qui nous aurons bien fait rire, et ce jusqu'au bout. Cela nous a fait un bien fou.



















Malheureusement, il n’y a pas que du bon : ici aussi, les backpackers ne sont pas les bienvenus, et dès la deuxième nuit, alors que nous étions bien cachés au fond du bush, nous avons eu droit à un réveil matinal forcé par un ranger scrupuleux. Nous n’avons écopé que d’un avertissement ; mais si nous nous faisons reprendre, nous risquons une amende, et au bout de la troisième fois, ils n’hésitent pas à apposer des sabots aux roues du véhicule. Vivement que nous repartions ! Surtout que Ludo nous a quitté, en prenant un avion pour Melbourne, et que Paul et Audrey vont rester un peu en ces lieux. J’espère toutefois que nous aurons l’occasion de les recroiser plus tard sur la route, car on a fini par s’attacher tout de même ! Si tout se passe bien, donc, le prochain article devrait vous exposer nos pérégrinations à travers le « Grand Désert de Sable » et les canyons du Karijini Park. D’ici là, prenez soin de vous, mettez un lainage, ne mangez pas la neige jaune, et surtout, ne suivez pas les lapins blancs ! A bientôt !





lundi 7 octobre 2013

Un Mushi à l'agonie...


Bon, vous l'avez deviné, le titre est assez éloquent, ces derniers jours n'ont pas été une partie de jambes en l'air de plaisir, mais rassurez-vous ! Au final, il y aura eu plus de peur que de mal. Et nous aurons passé malgré tout de bons moments. Et bien que notre cher Mushi nous en ait fait voir de toutes les couleurs, nous sommes aujourd’hui beaucoup plus sereins et confiants quant à l’avenir de notre road trip australien. Ah, mais assez de suspens ! Je vous tiens par les couilles en haleine depuis trop longtemps déjà, et vous devez vous poser moult questions sur cette étrange et injuste sinistrose qui s’est abattue sur nous. Alors, par où commencer ? Dans ton cul ! (Mais qu’est-ce qui m’arrive ?!?) Par le début, tiens! Il est toujours conseillé de commencer une histoire par le début. Donc, davaï !




En quittant Katherine, en compagnie d’Audrey, Paul et Ludo, le plan était simple. Il s’agissait de gagner Broome, relativement vite, en profitant tout de même des charmes de la route. Seulement, Ô rage ! Ô désespoir ! Ô quenelles de la vie ! Les évènements n’allaient pas se dérouler comme prévu, loin de là… Tout d’abord, notre frigo nous avait lâché ignominieusement, nous condamnant à boire de l’eau et des bières chaudes, ce qui est en soi un sacrilège, surtout en ce qui concerne les bières. Heureusement que Paul, bricoleur a ses heures, et muni qui plus est d’un multimètre, découvrit les causes de la panne : un vulgaire fusible. C’est donc avec une mission en tête que nous sommes arrivés à Kununurra. Il nous aura fallu visiter pas moins de cinq magasins pour trouver le modèle adéquat, acquis pour la modique somme de 50 cents. Une fois ce problème réglé, et de nouveau en possession d’un frigo qui pétait le feu (un grand luxe pour les backpackers en Australie), nous en avons profité pour visiter cette petite ville de campagne, au demeurant tout à fait charmante. Bordée d’un lac et de dômes rocheux, Kununurra offre certes peu d’activités, mais recèle un je ne sais quoi de joie de vivre et de quiétude. Sûrement grâce à la verdure, omniprésente, de ses jardins bien entretenus.






Quoi qu’il en soit, nous sommes repartis de plus belle, poursuivant les autres, qui nous avaient devancé pendant notre mission réfrigération, pour finir par les rattraper aux abords du Kimberley, dans la magnifique Emma’s Gorge. Perdue dans un désert semi aride, à la végétation vétuste et poussiéreuse, ponctuée ça et là de protubérances rocheuses et autres chaînes montagneuses pelées et vieillissantes, la gorge ressemble à une oasis de fraîcheur, encastrée dans une faille d’un plateau qui domine la plaine environnante. Le seul problème résidait dans la route d’accès, une « gravel road » de deux kilomètres en tôle ondulée, sur laquelle Mushi a un peu tiré la gueule, jusqu’à ce que je le pousse à 80 km/h pour absorber un maximum les vibrations. Peut-être est-ce même à partir de là que les problèmes ont réellement commencé… Arrivés à bon port, nous avons entamé l’ascension de ¾ d’heure, en tongs et au grand dam de Samia, gravissant le défilé jusqu’à ce que se révèle le plus majestueux des bassins, enserré de murailles vertigineuses et intemporelles. Du moins est-ce l’impression que j’en ai eu, imaginant nos ancêtres préhistoriques remonter le cours d’eau jusqu’à sa source, pour y trouver ce havre de paix et de réconfort. Nous y sommes restés quelques heures, nageant, plongeant et nous reposant, comblés et heureux. Si nous savions ce que la suite allait nous réserver !

















La route de l’ouest est triste comme les pierres. Sèche, brûlante, vide, morte. Un grand rien en somme. Ce n’est pas à proprement parler un désert, mais toujours un semblant de savane africaine, mêlé de far-west à l’américaine, genre Arizona ou Nevada. Pour dire, nous avons croisé de vrais cow-boys, à cheval, menant leurs troupeaux interminables de vaches dans le bush, et traversé deux minis tornades, nous balayant d’un vent chaud et poignardant le van de milliers d’aiguilles de sable tournoyantes. C’est également le royaume des fourmis. Des milliers… Que dis-je ? Des millions de fourmilières, parsèment le décor sans interruption. Pyramides, tours effondrées et stalagmites de terre rouge avachies, côtoient parfois des termitières informes. Finies les fières et hautes cathédrales du Litchfield. Ici, le vent de la plaine a repris ses droits, et arrondi ces monuments en gros bulbes,  champignons, et autres Blobs de l’espace. De nombreux cours d’eau jalonnent cette route infinie, mais leurs lits sont désespérément secs, et les arbres qui les bordent, habituellement verts, ne sont plus que les ombres roussies d’eux-mêmes. Des dizaines de carcasses de wallabies, de vaches et de dingos écrasés jonchent les fossés, tels de macabres tableaux. Quant aux villes, ma foi, elles ressemblent plus à des bourgades fantômes de western spaghetti, qu’à un village de 50 habitants du fin fond de la Creuse. La tristitude, quoi !








C’est ainsi que nous sommes arrivés à Halls Creek, relais routier abandonné au milieu de nulle part, habité majoritairement par des aborigènes. Et quand je dis « arrivés », ce fut de justesse, car à peine avions nous dépassé les premières échoppes de la ville, que nous tombions en panne, cahotant sur les derniers mètres comme un asthmatique désirant plus que tout achever un marathon. La tuile. Ayant constaté que ce n’était ni un problème de batterie, ni une fuite d’huile ou une panne d’essence, nous n’eûmes d’autre recours que d’appeler l’assistance dépannage, fort heureusement contractée par Samia avant notre départ. Deux heures plus tard, un garagiste nerveux et paniqué nous remorquait chez un de ses confrères, arguant qu’il n’avait pas le temps et l’énergie de s’occuper de nous. Cela promettait ! Mais le jeune qui nous reçut alors était sympa, et réussit assez vite à redémarrer notre pauvre Mushi. Au bout de trois kilomètres, le problème est revenu. Nous réussissions à redémarrer, en partie grâce à une bombe de starter gentiment offerte par le mécano, mais à chaque nouvelle tentative, la durée de survie et le kilométrage s’amenuisaient. La nuit finit par tomber, et nous décidâmes de dormir en face du garage. Inquiets, désenchantés et malheureux, nous nous agitions dans  un sommeil difficile, quand je fus réveillé par les hurlements proches d’une abo complètement beurrée, hurlant des insanités sur les blancs et tapant dans des poubelles. C’est alors que je le vis. A travers la moustiquaire, ombre parmi les ombres, un homme (aborigène également) se tenait à moins d’un mètre de moi, tentant d’ouvrir la portière. Je lui hurlai de déguerpir, et tant bien que mal, je le suivis des yeux tandis qu’il s’éloignait d’un pas titubant, marmonnant des élucubrations incompréhensibles dans sa barbe. Il faut savoir, pour bien imaginer notre terreur, qu’il y a quelques années de cela, dans cette même ville, un serial killer décapitait les backpackers de passage, après qu’ils l’aient pris en stop. Ils en ont d’ailleurs fait un film, "Wolf Creek". Quant au tueur, ils ne l’ont capturé que récemment A la première heure le lendemain, après que le garagiste nous ait confié ne plus pouvoir nous aider, nous quittâmes Halls Creek.






Mushi tint bon, du moins jusqu’à la moitié du trajet (exactement) qui devait nous mener à la ville suivante. Là, au bord de la route, assaillis par des nuées de mouches voraces et par un vent brûlant, sans aucune autre ombre que celle de notre porte arrière relevée, sans réseau pour appeler qui que ce soit, nous avons commencé à désespérer. Les autres nous avaient devancé la veille, et devaient nous attendre plus loin. Nous étions seuls. Nous avons alors arrêter la voiture d’un couple de jeunes australiens, leur confiant le numéro de notre assurance, nos références et notre positionnement exact, afin qu’ils puissent nous venir en aide dès qu’ils capteraient, mais deux heures plus tard, le moteur ayant refroidi et avec l’aide de la bombe de starter, nous pûmes redémarrer. 135 kilomètres plus tard, effectués en quatre heures car nous sommes de nouveau tombés en panne, nous arrivions à Fitzroy Crossing. Si Halls Creek nous avait paru désolante, cette ville-ci nous sembla carrément morbide. Les deux seuls garages de la bourgade ne purent nous venir en aide, en raison d’un festival de courses à venir (quand on vous dit qu’on a un problème avec l’évènementiel en voyage !). La mort dans l’âme, impuissants, nous passâmes une nouvelle nuit agitée, car près de deux cents abos se réunirent sur le parking pour se bourrer la gueule, hurler à la lune et se frapper allègrement les uns les autres. Le lendemain, nous tentâmes le tout pour le tout : rejoindre Broome coûte que coûte, située à quelques 400 kilomètres de là. Mission Impossible, quoi !







Cette journée fut la pire de toutes. En matière de stress, d’incertitude et de désespoir, nous fûmes servis. Il nous aura fallu plus de dix heures pour parcourir péniblement les 160 premières bornes. Nous nous sommes arrêtés à quatre reprises, à chaque fois avec moins de kilomètres à notre actif. Les deux derniers arrêts, nous avions seulement fait 40 kilomètres. Mushi agonisait. Pour dire, nous en venions à lui adresser des prières, muettes ou formulées, à l’embrasser, à le maudire… La peur nous tenaillait à chaque instant, car nous redoutions l’instant fatidique où il se mettrait à ralentir par secousses, toussant comme un tuberculeux, avant de s’arrêter, peut-être à jamais. Mais notre dernier arrêt, un peu volontaire, se fit dans une aire de repos délabrée, en compagnie d’une jeune française et de deux allemandes compatissantes. C’est là que Samia eut l’idée de génie d’essayer de rouler de nuit. Nous en étions venu à croire, avec l’habitude, que c’était avant tout un problème de refroidissement, et que la chaleur diurne, avoisinant les 40° (si ce n’est plus), ne devait pas franchement aider. Alors, une fois Mushi reposé et après nous être sustenté, nous reprîmes la route jusqu’à Broome. 240 kilomètres durant, nos malédictions et nos prières se transformèrent peu à peu en encouragements, en acclamations, voire en ovations de soulagement. Nous comptions les kilomètres. Un véritable sketch. Mais le fait est que nous sommes arrivés à bon port, rejoignant nos amis endormis, qui n’y croyaient plus, dans le bush aux abords de la ville.







Cette histoire n’est pas terminée. Je prends beaucoup trop de plaisir à maintenir le suspens. Et de toute façon, étant arrivés en plein week-end, il nous fallait attendre lundi pour aller au garage. Nous en avons trouvé un, qui nous reçoit demain matin. Nous avons encore eu quelques haltes forcées depuis que nous sommes en ville. Mais nous ne sommes plus seuls, au milieu de rien, et ça, ça n’a pas de prix. Soyez donc encore un peu patient, et vous connaîtrez le dénouement de cette incroyable et démoralisante aventure que nous venons de vivre. Ah oui ! Et si le cœur vous en dit, aidez-nous vous aussi. En adressant une prière, ou en buvant une bière à la santé de notre Mushi.