Varanasi est l’une des plus anciennes
villes du monde. Et ça se sent. Non pas à cause de l’ancienneté des monuments,
au demeurant peu nombreux, mais plutôt dans l’atmosphère, saturée de ferveur
religieuse et de mysticisme brut. L’empereur Aurangzeb (encore lui !),
tenta de gommer toutes traces des religions n’étant pas l’Islam, allant jusqu’à
changer un temps le nom de la ville en Mohammadabad, mais les croyances ne s’effacent
pas ainsi, et Bénarès a toujours été le plus grand lieu sacré de l’hindouisme,
au même titre que le Vatican pour les catholiques, ou La Mecque pour les
musulmans. C’est le lieu de pèlerinage
des hindous, le point de rencontre du monde physique et du monde spirituel.
Pour la petite histoire, le nom initial de la ville était Kashi, provenant des Véda, le tout premier livre sacré des
hindous, signifiant « le lieu qui attire tout le monde ». Rien n’a
changé, sinon le nom, et l’on perçoit ici l’essence même de l’Inde, le bon,
comme le mauvais.
Chaque année, trois ou quatre millions de
pèlerins (60 000 par jour), viennent effectuer leurs ablutions rituelles
dans le Gange pour se décrasser l’âme, les eaux du fleuve étant censées laver
de tous les péchés accumulés au cours des vies passées. J’imagine que certaines
personnes doivent se nettoyer plus vigoureusement que les autres ! Mais ce
n’est pas tout : ici plus qu’ailleurs, la mort est présente, elle fait
partie de la vie (je sais, c’est con, dit comme ça). Et pour cause : les
hindous viennent y mourir en masse, car rendre son dernier soupir à Varanasi, c’est
en finir avec le cycle infernal des réincarnations (le samsara) et atteindre sur le champ la moksha (équivalent pour les hindous du nirvana bouddhiste). De ce fait, deux ghâts (escaliers descendant vers le fleuve) sont dédiés aux
crémations. Des familles entières, de toutes castes, viennent incinérer leurs
morts selon des rituels bien spécifiques, et payent des tarifs plus ou moins
élevés pour la qualité du bois de bûcher, le cindelhu (poudre odorante), et la place elle-même, plus ou moins
loin de la rivière. Environ deux cent corps sont brûlés chaque jour, puis les
cendres et les os qui ne se consument pas (sternum pour les hommes et bassin
pour les femmes) sont dispersés dans le Gange. Il est formellement interdit de
prendre des photos, ou l’on se retrouve exposé à des réprimandes sévères
(parfois armées) et une amende salée. Du moins si l’on se laisse faire par les
gros bras qui attendent les touristes non avertis pour les racketter. Je pense
l’avoir échappé belle, agonisant d’injures et lassant les deux types qui
voulaient me faire cracher une somme exorbitante et m’ont suivi sur trois cent
mètres.
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Ce con là a bien failli me charger! L'était pas commode... |
Pour toutes ces raisons, l’ambiance de la
ville est très particulière, et les contrastes y sont flagrants. Entre les
castes bien entendu, mais également entre habitants et pèlerins, qui
appréhendent les choses et les touristes, de manières différentes. Les occidentaux venus ici par curiosité, par quête spirituelle, ou simplement par
un sentiment d’obligation, sont légions, et il n’est pas rare de sentir l’animosité
des « baigneurs », des sâdhus
et même des enfants à leur/notre égard. Les gamins n’en sont plus réellement,
poussés par leurs parents à mendier, ou à réclamer de l’argent contre une photo
de leur sourire forcé. C’est très déstabilisant, surtout quand une mouflette de
six ans vous insulte en criant « delete ! delete the photo ! »
parce que vous avez refusé de vous acquitter d’un écot, étant donné que c’est
elle qui est venue vous demander de prendre son portrait… Heureusement que
certains enfants demeurent innocents, malgré la pression et l’appât du gain !
Pour parfaire cette série de mésaventures
qui jalonnent cette fin de périple indien, notre arrivée à Bénarès ne s’est pas
faite sans heurts, ce qui, au vu de notre karma actuel, se révèle être un sacré
euphémisme ! En effet, nous avions booké tous nos billets de train sur
internet, il y a deux semaines de cela, à Chandigagh, chez notre ami Ajit. Mais
nous n’avions pas prévu que nous serions toujours en waiting-list quinze jours
plus tard, et que nous nous verrions forcés d’annuler lesdits billets. Le
problème est devenu autrement plus épineux quand le train s’est révélé être
archi complet, et que nous avons dû frauder pour monter dedans, puis payer une
amende au contrôleur pour qu’il nous trouve deux banquettes en sleeper class,
au beau milieu de la nuit, chassant en passant deux autres voyageurs. Mais ça
ne s’arrête pas là ! Arrivés à bon port, il nous a fallu recommencer pour
le train suivant, passant deux journées entières à courir des agences de voyage
à la gare ferroviaire, et à parlementer avec des gens qui ne savent décidément
pas faire leur boulot, arguant que « c’est bon, vous aurez vos tickets, c’est
sûr à 100% », avant d’annoncer, six heures plus tard, que « en fait,
notre agent de la station demande une plus grosse commission, et de toute
façon, c’est même pas sûr, vous feriez mieux d’attendre demain matin pour
acheter des billets d’urgence à la gare »… Bon, le principal, c’est que
nous ayons finalement dégoté des billets, avec un jour de retard, et que nous
arriverons demain matin à Calcutta à 7h30, pour prendre notre avion à 10h30…
Samia vient d’ailleurs de lever les bras en signe de victoire… et de
contentement… et de lassitude… Vivement qu’on se barre…
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Et hop! Un petit Invader non recensé... |
Pour conclure, je dirai que Varanasi vaut
le coup d’œil, ne serait-ce que pour comprendre un peu plus la psyché indienne,
leurs traditions, et leurs croyances, très complexes. Pour beaucoup de
voyageurs, la ville est une véritable révélation, qui heurte de plein fouet nos
certitudes trop ancrées, trop cartésiennes, d’occidentaux. Et il est vrai qu’on
n’en ressort pas indemne. Le premier choc absorbé, notamment celui des
crémations, on se retrouve happé par la ferveur sacrée des cérémonies, par le
flux grouillant de ce labyrinthe de venelles sombres, ou juste par la
contemplation de la vie simple et dénuée des habitants du bord du Gange. Ce fut
difficile pour nous, au bout de trois mois et n’éprouvant que peu d’attrait
pour le nord, d’aborder la ville sans a priori, mais nous n’en sommes pas moins
émerveillés par cette incroyable spiritualité qui s’en dégage. Ce fut aussi
pour nous l’occasion de rencontrer Susen et Jake, une allemande et un anglais,
qui baroudent chacun de leur côté depuis plusieurs mois déjà, et avec qui nous
avons passé de merveilleux moments. Notamment une balade en bateau, de nuit,
afin de voir depuis le fleuve la Ganga
Aarti, une cérémonie spectaculaire de dévotion, quotidienne, illuminée de
milliers de bougies et embaumée d’essence de santal, rassemblant plusieurs
milliers de personnes dans la joie et le recueillement. Beau bouquet final,
avant de quitter le pays !
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Jake, Susen, et... appelons le Rahul |
Addendum depuis Bangkok: Bon, on l'a fait, mais on a failli rater l'avion car le train, blindé, a pris presque deux heures de retard, et nous a fait arriver à l'aéroport dix minutes avant l'embarquement... Heureusement que notre charme indéfectible a su oeuvrer sur l'agent du bureau d'enregistrement. A moins qu'il n'ait eu pitié, allez savoir... Quoiqu'il en soit, nous sommes ravis, surtout Samia, qui a plus souri en trois heures de temps que durant tout le dernier mois en Inde! A bientôt pour de nouvelles aventures!
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On n'est bien que chez soi |
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Ou dans un tas d'ordures, au choix... |