Quitter
la douceur et la tranquillité de Kampot fut difficile, surtout pour se
retrouver à Siem Reap… Je n’évoquerai pas le trajet de bus de onze heures, avec
étape à Phnom Penh, durant lequel il nous aura fallu subir un DVD de karaoké
cambodgien, volume au maximum et voix nasillardes à souhait. Je ne parlerai pas
non plus des routes encombrées par les funérailles de l’ancien roi, Sihanouk,
des myriades de photos géantes le représentant un peu partout, des gens en
deuil, ruban noir épinglé au col, et des retransmissions de l’évènement sur
chaque poste de télévision, dans chaque demeure et chaque magasin, accompagnées
de musique martiale sur chaque radio et transistor du pays. Et je ne raconterai
sûrement pas notre arrivée tardive à bon port, où nous avons eu l’agréable
surprise de constater que toutes les guest-houses étaient complètes, et qu’il
nous aura fallu une bonne heure avant de trouver une chambre dans l’hôtel le
plus sympa du quartier, certes, mais dans lequel nous avons du changer trois
fois de piaule, histoire de combler les trous des réservations… Non je ne vous
parlerai de rien de tout cela, veuillez m’en excuser.
Au-delà
du fait que nous sommes apparemment arrivés en plein début de haute saison, et
que la ville était donc envahie par des cohortes de touristes aussi bien
occidentaux qu’asiatiques, nous avons pris le temps de nous reposer du voyage,
une fois installés, avant de tenter une timide visite de la ville. Timide, car
il s’avère que la moindre activité dans les environs relève du tourisme de luxe
et coûte au bas mot un bras, si ce n’est deux. Cela ne nous aura pas empêché
d’apprécier les mélopées de prières dans un magnifique temple inachevé, de
boire une Margarita glacée dans la rue de la Soif , de plaisanter avec des gamins des rues, de
nous prélasser une fin d’après-midi au bord d’une piscine en compagnie de deux
compatriotes basques, ou encore de demeurer pantois devant le spectacle de
milliers de chauve-souris géantes, juchées têtes en bas sur les branches
d’arbres millénaires, et grinçant à qui mieux mieux en plein cœur de Siem Reap
(oui, les chauve-souris grincent, vous ne saviez pas ?).
Siem
Reap sert avant tout de camp de base pour les plus de deux millions de
visiteurs annuels (!) qui désirent se rendre aux célèbres temples d’Angkor. Autant
vous dire que les hôtels y poussent comme des champignons, et que comme les
touristes n’ont plus le droit de louer de moto (il y aurait eu soi-disant trop
d’accidents de la route), les tuk-tuk y sont légion… Juste une manière
supplémentaire de nous pomper notre fric, car le site se trouve à 8 kilomètres de la
ville, et s’étend sur près de 400 kms², en comptant les édifices les plus
éloignés. Les distances étant particulièrement grandes entre les temples, et la
chaleur difficilement soutenable, la plupart des touristes préfèrent se faire
balader, sans même négocier les tarifs exorbitants qui leur sont demandés !
Un peu plus courageux, ou inconscients (voire carrément cons), nous avons opté
pour la location de vélos, et avons pédalé une journée entière sous le cagnard
pour découvrir les principaux temples de cet ensemble grandiose.
La
glorieuse capitale de l’Empire Khmer aura vécu plus de 500 ans, de sa fondation
au IXème siècle jusqu’à son déclin au XIVème siècle. A son apogée, le site s’étendait
alors sur près de 3000 kms², représentant la plus grande cité de l’ère
préindustrielle, avec une population avoisinant les 800 000 habitants !
Les archéologues y ont également retrouvé des sépultures datant de l’âge de
bronze, révélant la présence de tribus préhistoriques bien ancrés en ces lieux
environ 1800 ans avant notre ère. C’est en 889 que le roi Yasovarman Ier y fonda
une ville à son nom, mais les cambodgiens prirent l’habitude de l’appeler Angkor, qui en langue khmère, veut tout
simplement dire « capitale ». Nombre de ses successeurs agrandirent
la cité, érigeant temples hindouistes et palais, ou aménageant d’ingénieux
systèmes hydrauliques pour subvenir aux besoins d’une population toujours plus
nombreuse, mais il faudra attendre le XIIème siècle pour que soient élevés les plus
majestueuses constructions : Angkor Wat, Angkor Thom et Ta Prom.
Aujourd’hui,
il est dommage que l’affluence touristique et l’encadrement de la Conservation laissent
penser que l’on se trouve à Eurodisney, mais ce site archéologique, le plus
vaste du monde, demeure une merveille. On commence généralement la visite par
Angkor Wat, du fait de sa situation au sud du site (près de l’entrée), et peut-être
parce que c’est le temple le plus grand, le plus connu et le plus majestueux aussi… On considère qu’une armée de plus de 300 000 ouvriers (pour ne pas dire esclaves) et 6000 éléphants
participèrent à sa construction, qui aurait duré 37 ans ! Entouré de
douves et de murailles colossales (plus d’un kilomètre de long), ce
temple-montagne est entièrement dédié à Vishnou, dieu suprême de l’hindouisme,
symbolisé par la tour centrale, car le phallus est l’attribut divin par
excellence… On y trouve des bassins, des bas-reliefs bien conservés (800 mètres de chefs d’œuvre !),
des sanctuaires et un dédale de galeries labyrinthique, qui pourtant obéit à
une architecture on ne peut plus symétrique. C’est tout simplement magnifique,
et il est relativement aisé d’imaginer le faste et la vie qui ont pu animer cet
édifice des siècles durant.
A
1700 mètres
exactement de la porte d’Angkor Wat se situe la cité royale d’Angkor Thom. Ceinte
des quatre côtés par des murailles de 8 mètres de haut, sur une longueur totale de 12 kilomètres , cette « ville
dans la ville » recèle quelques-uns des plus beaux joyaux de l’ancienne
capitale, même si l’ensemble des habitations, construites alors en bois et en
paille, ont disparu à jamais. Outre le Palais royal, la grande place et de
nombreuses tours et terrasses magnifiquement ouvragées, Angkor Thom propose
avant tout le Bayon. Pyramide à trois niveaux, d’une hauteur de 43 mètres , ce
temple-montagne possède une architecture complexe, cruciforme et changeante
selon les étages. Mais le mystère qui s’en dégage réside avant tout dans les 37
tours (il y en avait 54 à l’origine), ornées chacune en son sommet de quatre
visages orientés aux quatre points cardinaux, et censés représenter les quatre
vertus du Bouddha : sympathie, pitié, neutralité et égalité. D’aucuns y
voient plutôt le désir du roi d’alors de surveiller ses sujets, tel un Big
Brother avant l’heure. Très impressionnant en tout cas !
Quelques
kilomètres à l’est se trouve Ta Phrom, le « monastère du roi ». Si
Angkor Wat n’est qu’harmonie et majesté, le Bayon mystère et boule de gomme, Ta
Phrom est un lieu romantique et magique, car la Conservation a eu l’heureuse
idée de le laisser livré à la jungle. Le monde entier a d’ailleurs plutôt
tendance, à l’évocation d’Angkor, à imaginer les temples couverts de mousse et
de liane plutôt que les tours d’Angkor Wat. Sûrement parce qu’il les associe
aussi à la généreuse poitrine de Lara Croft, alias Angelina Jolie, dont le film
Tomb Raider a en partie été tourné ici, dans ce lieu invraisemblable qu’est Ta
Phrom. L’explication la plus plausible à cette curieuse végétation qui envahit
les temples serait que les oiseaux, amateurs des fruits du fromager,
transporteraient ses graines avant de les déféquer joyeusement. Ces dernières
germeraient sur les murs, étendant leurs racines vers le sol et s’insérant
entre les pierres qu’elles disloquent en grossissant. Résultat : d’énormes
racines noueuses recouvrent tels des pythons affamés les murs séculaires, avant
d’élancer leurs gigantesques troncs laiteux vers le ciel. C’est sublime,
magique, et mystique tout à la fois. A voir au moins une fois dans sa vie,
malgré le côté parc d’attraction…
"Maintenant, fais la Russe" |
Le
retour fut particulièrement difficile, sous le cagnard toujours, mais nous l’aurons
fait ! Une bonne quarantaine de kilomètres dans la journée, si ce n’est
plus… Nous aurons qui plus est eu le plaisir de revoir, encore une fois, nos
sympathiques camarades anglais Chris et Nicola, de retour d’une semaine au milieu
des éléphants, toujours prompts à rire et à faire la fête. Big up guys !
Désireux toutefois de quitter cette industrie touristique décidément surmassive,
nous avons préféré en rester là avec Angkor, une journée entière étant
largement suffisante pour apprécier toute la beauté du site. Nous sommes donc
repartis dès le lendemain matin pour Kompong Cham et retrouver notre vieil ami,
le Mékong. Mais ça, c’est une autre histoire !
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