Ayant raté notre train de nuit
(enfin, disons que Samia ne l’a pas senti) pour gagner Gokarna (c’est vrai que
c’était tout pourri), nous avons finalement décidé (non mais sérieux, c’était
violemment pourri) de rester quelques jours de plus à Kochi (en fait, on se
serait cru dans un train de déportation), afin de profiter des attraits de
cette cité pour le moins surprenante (la Sleeper Class, c’est vraiment de la
merde). Sage décision.
En effet, Fort Cochin abrite dans
ses murs le Kathakali Centre, un mignon petit théâtre en bois proposant une
foultitude de spectacles et de classes en tous genres. A commencer par le Kathakali, art théâtral mimé s’apparentant
au Nô japonais, saupoudré d’une touche baroque et obéissant à une codification
d’une complexité étourdissante. Nous avons adoré, et avons assisté à deux
représentations (différentes) reprenant des extraits du Mahabharata, l’une des grandes épopées légendaires de l’Inde. Tout
d’abord, on assiste à la séance de maquillage des comédiens, qui frottent des
pierres colorées dans de l’huile de coco pour obtenir les pigments nécessaires,
et se glissent des graines de bétel sous les paupières pour avoir les yeux
rouges. Ensuite, l’un des acteurs fait une démonstration des mimiques faciales,
tout à la fois fines et caricaturales, et de la gestuelle, véritable langage
des signes à la précision confondante, très significative et symbolique. Enfin,
on assiste aux scènes jouées (les rôles de femmes étant tenus par des hommes) accompagnées
de deux percussionnistes et dont les dialogues sont chantés par le narrateur. Il
faut savoir que les costumes, très colorés, demandent des heures de
préparation, et que l’apprentissage des acteurs exige une quinzaine d’années de
pratique… Le spectacle était magnifique. J’ai même été ému aux larmes face à
une scène particulièrement dramatique, chose qui ne m’était pas arrivée depuis
fort longtemps.
Nous avons pu également apprécier
une démonstration de Kalarippayat,
art martial et thérapeutique (les massages et le yoga en font partie intégrante),
ancêtre de nombreuses autres disciplines martiales ou artistiques. Il aurait
pénétré en Chine en même temps que le Bouddhisme, avec le célèbre moine
combattant Bodhidarma, pour revenir ensuite dans son pays d’origine, l’Inde. Mélange
de danse, de combat à mains nus, d’acrobaties et d’affrontements armés de
bâtons, de couteaux, ou d’épées souples à lames multiples, le Kalarippayat repose également sur les
connaissances de médecine ayurvédique.
En effet, ils utilisent les marmas,
ou nœuds vitaux, tant pour les combats que pour les soins, que doit pouvoir
pratiquer tout bon maître qui se respecte. Le rendu est pour le moins
impressionnant, les combattants déployant une énergie sauvage dans la portée de
leurs coups, ou dans le maniement des différentes armes. Ça donne envie de s’y mettre. J’ai d’ailleurs
eu droit en exclusivité (nous n'étions que deux spectateurs) à un petit cours
de self défense à la fin du show ! Hé hé, tu trembles Néron, et sens ta
chute proche !
Enfin, nous avons vu deux
concerts de musique carnatique. Comme chacun le sait, c’est un style
traditionnel typique de l’Inde du sud qui s’appuie sur les qualités d’improvisation
de ses artistes, mais obéissant à des codes très stricts établis il y a plus de
vingt siècles (ouais, j’me la pète, et alors ?) Encore plus technique :
le système musical indien est basé sur deux composantes principales : le râga, au thème mélodique, et le tala, au thème rythmique. Ainsi, le
développement du râga, après une
première partie de découverte et d’exposition du mode, lente et méditative (alap), se fera ensuite suivant des
cycles rythmiques de plus en plus rapides, qui aident à structurer l’improvisation,
jusqu’à atteindre en fin de morceau le paroxysme de l’émotion voulue. Les talas les plus courants sont ceux de 16,
10, 8, 7 et 6 temps. Les percussionnistes et le soliste improvisent de part et
d’autre, et se retrouvent ensemble sur le sam,
premier temps du cycle. A la première écoute, il est vrai que nos oreilles européennes ont du mal à cerner le moindre schéma dans ce joyeux bordel, mais
on s’y fait petit à petit.
Le premier concert réunissait
un violoniste (manche vers le bas), un joueur de mridangam, percussion double à un seul fût de bois, et un ghatam, petit tambourin dont le son
évoque les gan-gans africains.
Magistral ! Les musiciens, tous virtuoses, se lançaient des petits défis,
sous forme de questions-réponses, et prenaient un plaisir évident à communier
de la sorte. Le deuxième concert, un peu moins bon mais tout aussi impressionnant
de technique, alliait les douces mélopées métalliques du sitar au tricotage vertigineux des tablas. A la fin, apprenant que nous étions chanteurs, ils nous ont
gentiment proposé de pousser la chansonnette. Entre Camille et Le Livre de la Jungle, ils ont du se poser pas mal de questions sur la musique occidentale!
Trop sombre pour des photos, mais bientôt des vidéos |
Tous ces artistes viennent au centre à la demande du maître de cérémonie, Sujeen, sorte de Monsieur Loyal kéralais au sourire doux, qui depuis quinze ans présente quotidiennement ses protégés et chante de tout son cœur lors des spectacles de Kathakali. Une crème. Et un chanteur hors pair également. Samia est allé prendre un cours avec lui et en est ressortie ressourcée et émerveillée. Amis voyageurs, vous savez où vous rendre maintenant !
Samia et son nouveau Guru, Sujeen |
Pour finir, ce court séjour culturel nous aura aussi permis de rencontrer quelques baroudeurs sympas, tels que Thomas, jeune lyonnais installé à la Réunion, saltimbanque confirmé et apprenti percussionniste local ; Imen, petite marocaine un peu paumée mais avide de découvrir le monde, Caro de Toulouse, Hanne et Heleen les belges flamandes… Sans parler de « Bob », le serveur indien qui se voudrait rasta, qui chante du Manu Chao et qui appelle ses clients français « Biloute ». Avec la complicité de Thomas, nous nous sommes même laissés aller à improviser de petits spectacles de rues dans un parc de la ville, rassemblant des dizaines de badauds effarés et hilares de voir des touristes faire l’attraction chez eux. C’est qu’ils en redemanderaient !
Ne trouves tu pas que les costumes ressemblent vraiment beaucoup à ceux des Atrides d'Ariane Mnouchkine ?
RépondreSupprimerJe serais curieuse de savoir si la musique dont tu parles a inspiré son compositeur génial, dont bien sûr, Alzheimer oblige, j'ai oublié le nom.
As tu fait des enregistrements ?
Oui y a un peu de ça effectivement. De toute façon Mnouchkine a toujours tout pompé non?
SupprimerEt oui, j'ai fait tout plein de vidéos, mais la connexion est trop lente pour que je les importe sur le blog pour l'instant...
Jean Jacques Lemêtre, j'ai retrouvé
RépondreSupprimerPffff Samia tu déconnes, ça avait l'air trop bien la sleeper class!
RépondreSupprimerMais grave!!!
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