Ce
n’est pas sans mal que nous avons quitté Bombay. D’une part car il nous a fallu
dire au revoir à Sushant et Séréna, après une dernière jam et un atelier crêpes
(et après dix jours de glande active chez eux tout de même !), et d’autre
part parce qu’il est très, mais alors très difficile de prendre le train en
Inde. Je vous jure, c’est la mer à boire ! Non seulement, si l’on ne s’y
prend pas assez en avance (minimum deux semaines), on a de grandes chances de
se retrouver sur « Waiting List », et là, autant vous dire que c’est
mal barré ; mais chaque agence ou guichetier essaie de vous truander en
vous vendant les billets deux fois le tarif normal, arguant que les trains sont
complets, alors que ce sont eux qui achètent des lots de places en avance pour
pouvoir les revendre plus chères au dernier moment ! Tout un poème… Cela
nous a valu un nouveau faux départ, et une belle balade dans le centre-ville
afin de trouver le seul bureau apte à délivrer des tickets en utilisant le
« tourist quota ». Balade un peu mouvementée, puisque nous nous
sommes retrouvés dans un train de banlieue, aux heures de pointe, au milieu
d’une foule d’indiens enragés prêts à tuer pour pouvoir monter ou descendre du
wagon ! Enfin, je parle pour moi, car Samia était confortablement
installée dans celui réservé aux femmes, pendant que je luttais âprement pour
ma propre survie, accroché tant que faire se pouvait aux portes, sur le
marchepied extérieur. Intense !
Pas du tout représentatif du texte ci dessus! |
C'est juste pour vous montrer une bétaillère indienne |
Pas taper! |
Quoi
qu’il en soit, nous sommes finalement parvenus à prendre un train, en Sleeper
Class s’il vous plaît (je confirme au passage, cette classe c’est vraiment de
la m…), à destination de Mount Abu.
Nous
avions longuement hésité à venir dans cette station d’altitude, très prisée par
les touristes indiens, pensant qu’elle ressemblait fort à Kodaïkanal et que
cela ne présenterait aucun intérêt particulier. Mais heureusement pour nous,
Sushant réussit à nous convaincre, nous conseillant de rendre visite à son ami
Tanay. Grand bien nous fit, car nous nous sommes retrouvés parachutés dans une
chambre de luxe, en face d’une piscine, dans un hôtel 4 étoiles nommé
facétieusement le Hilltone, et sans débourser un seul centime. Car en plus d’incarner
gentillesse et générosité dans leurs plus grands apparats, Tanay se trouve être
le fils du directeur, ainsi que le responsable des deux restaurants gastronomiques
de l’hôtel. Une véritable crème… Et même s’il nous est arrivé de culpabiliser face
à tant d’aubaine, je dois vous avouer que nous en avons profité un maximum,
oubliant nos conditions de simples back-packers pour nous hisser au rang autrement
plus prestigieux d’hôtes de marque.
Tanay
s’est aussi révélé être un guide cultivé, rieur, disponible, et un excellent
compagnon. Trois jours durant, il nous a baladés au volant de sa Skoda à la
découverte des merveilles de Mount Abu, et nous avons pu bénéficier de ses
nombreuses connaissances historiques et religieuses sur le Rajasthan. A
commencer par le temple Dilwara, dédié aux Tirthankaras,
les prophètes du Jaïnisme D’imposants remparts abritent en fait cinq temples, édifiés
aux XIème et XIIème siècles, disposés en terrasses au milieu des rochers et
entièrement construits… en marbre. Chaque colonne, chaque statue, chaque
fresque est finement ciselée dans cette pierre pourtant réputée pour sa dureté.
Le résultat est saisissant. La complexité et la finesse des sculptures sont à
couper le souffle. Un dôme colossal, ouvragé en forme de lotus aux mille
pétales, aurait même été taillé dans un seul gigantesque bloc et posé sur le
reste de la structure… Dommage que ce soit interdit de pénétrer dans l’enceinte
avec son appareil photo, vous auriez été bluffés.
Mount
Abu, selon ses habitants, serait le berceau de l’humanité, ou du moins un havre
de paix immémorial. De ce fait, il est aisé de concevoir que nombre de
souverains et de maharajahs y aient élu leurs domiciles, principaux ou
secondaires, à l’ombre des montagnes et loin de la fournaise des plaines.
Ainsi, le site est recouvert de palais et de splendides demeures, souvent reconvertis
en hôtels, et semblant tout droit sortis d’un conte des Mille Et Une Nuits. C’est magnifique. Et de nombreuses terrasses
offrent une vue imprenable sur un mignon petit lac encadré par des montagnes
certes vieilles, mais majestueuses. Nous avons également profité d’un
magnifique coucher de soleil au terme d’une randonnée épique, tandis que des
centaines d’indiens, à quelques encablures de là, hurlaient à la mort pour
saluer l’évènement. Très étrange pour le coup…
Hier enfin,
Tanay nous a emmenés dans un Centre de Réhabilitation pour les Aveugles,
construit en 2009 sous l’initiative du docteur A. Sharma et s’occupant donc,
comme son nom l’indique, de préparer des aveugles (pour la plupart de
naissance) à retrouver une vie sociale « normale ». Le travail
accompli dans ce centre est impressionnant, le professeur (un homme fascinant) ayant
fait construire un studio d’enregistrement de pointe afin de créer des livres
audio électroniques facilement téléchargeables par les non-voyants. Ces
derniers y apprennent aussi le braille,
la cuisine, et… la musique. Les entendre chanter fut une expérience des plus poignantes,
et c’est plein de respect que nous leur avons interpréter à notre tour quelques
chansons. Je ne faisais pas trop le malin pour une fois, et tandis que de
nouveaux arrivants débarquaient en entendant l’émotion qui perçait dans la voix
de Samia, ils battaient tous la mesure. Leur réaction nous laissa pantois, de
bonheur et d’humilité. Leur gratitude face au simple fait de leur avoir accordé
du temps, de leur parler d’égal à égal, fut époustouflante, et atteignit des
sommets lorsque je leur offris mon harmonica de poche. Il n’y a pas à dire, la
musique est un langage à part entière, et sa magie a encore opéré durant cet
échange véritable. Ces instants passés en leur compagnie resteront longtemps
gravés dans nos mémoires.